Quatuor (Actes Sud, 3 février) by Enquist Anna

Quatuor (Actes Sud, 3 février) by Enquist Anna

Auteur:Enquist, Anna
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Éditions Actes Sud
Publié: 2015-12-30T00:00:00+00:00


27

“Ça te plaît, là, sans lumière du jour ?”

Dans l’atelier, Heleen regarde autour d’elle. Pas de fenêtres. Comment fait-il pour ventiler ? On sent une odeur de lavande.

“C’est le vernis, il y a de l’essence de lavande dedans, explique Jochem. Oui, je préfère les néons. Toujours le même éclairage, c’est bien. Et pas de contact avec le monde extérieur. Quand je veux de l’air, j’ouvre les portes.”

Elle a apporté son violon, qu’elle sort de l’étui.

“Les cordes sont à changer, dit-elle. À deux semaines de notre petit concert, j’ai encore le temps de les roder.

— C’est quoi, ce que tu as ? Ah, je vois. Garde-les en réserve, elles sont encore bonnes.”

Il fouille dans un tiroir et en retire ce dont il a besoin.

“Assieds-toi, je vais te les monter.”

Heleen se promène dans l’atelier et en hume les senteurs. De la sciure de bois fraîche, du fer, quelque chose d’oléagineux… Pas facile de décrire une odeur, se dit-elle, on va chercher le nom d’un objet qui sent comme ça – l’eau, le couloir chez grand-mère, du poisson frais – mais pour la sensation elle-même, on n’a pas les mots.

“Comment définir un son ?”

Jochem réfléchit.

“On emprunte des mots qui existent déjà : chaud, pointu, riche. Ou bien on fait des comparaisons. Ici, la semaine dernière, il y avait un violoncelle qui sonnait comme un saxophone. J’ai aussi eu un alto pareil à une corne de brume, une viole qui toussait comme un canard enrhumé. Avec tout ça, je m’en sors. On est tellement obsédé par le verbe qu’on veut tout nommer, tout expliquer. Le son est indéfinissable. Il faut simplement l’entendre.”

Heleen a pris place sur un tabouret et regarde Jochem s’appliquer sur le violon, tendant les cordes l’une après l’autre afin de maintenir une pression constante sur le chevalet. Elle aperçoit derrière lui une armoire aux portes vitrées où sont rangés des outils. Dans le fond se trouve une photo. En noir et blanc. Les garçons. La distance ne lui permet pas de distinguer l’expression sur leur visage, mais elle devine à leur pose qu’il y a de l’action, de l’amusement. Leurs têtes se touchent presque. On peut être sûr qu’ils sourient. Elle n’a pas vraiment le courage d’aller voir de plus près.

“Oui, c’est un joli portrait, dit Jochem, si brusquement qu’Heleen en sursaute. On était au zoo, le printemps d’avant. J’ai fait faire la photo pour Caroline. Pour qu’elle l’ait au travail. Sur son bureau, pas du côté des patients, mais en face d’elle, à tout moment. Maintenant, c’est moi qui l’ai ici.”

Est-ce qu’il faut qu’on parle de Caroline ? Non, elle est mon amie. Mais lui, c’est son mari, peut-être qu’il s’inquiète.

“Je trouve qu’elle ne va pas trop mal, dit finalement Heleen. Mieux. Comme si elle commençait à reconnaître qu’il y a quelque chose de changé, que c’est lourd à porter. Au début, elle n’arrêtait pas une minute, c’était beaucoup plus difficile.”

Jochem approuve de la tête.

“Et toi, comment tu t’en sors ?” demande-t-elle.

Silence. Jochem pince les cordes et tourne les chevilles.

“Je m’enferme.



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